Acte
1
Acte 1 Scène 1
(La conteuse, Albert, Adolf, Hermann,
le SS)
Une vieille femme arrive sur scène et
se place au centre de la scène avec un seau et une brosse. Elle s’adresse face
public.
La conteuse : Vous êtes bien installés mes petits-enfants ?
Oui ? Il le faut. L’histoire que je vais vous conter n’est pas très
heureuse, même si elle se termine plutôt bien. Elle se situe à une période
sombre dans un pays pas si lointain du nôtre. (Elle s’agenouille et commence à frotter le sol.) Il y a des preux
chevaliers, des héros, des traîtres et de méchants rois, des princesses à
sauver, des monstres et des dragons mais…tous se sont débarrassés de leurs
artifices, de leurs déguisements et ont un visage curieusement humain.
Un soldat arrive à cour et balance sa
matraque de droite à gauche en la regardant. Il porte l’insigne des SS sur la
manche de son uniforme.
Le SS : Plus vite ! Schnell !
Schnell !
La conteuse : (S’activant
à frotter) Le pays a subi une guerre de quatre longues années et des
millions de gens sont morts. Il se redresse difficilement de cette épreuve,
ceux qui l’ont battu sont impitoyables, ils ne veulent pas qu’une telle
atrocité se reproduise. Pourtant, à cause de leur sévérité, un homme, brillant
orateur et grand manipulateur des foules va se révéler, pour mener une fois de
plus le pays à sa perte et le monde à la folie.
Sur le balcon, éclairé en contre-jour
à travers la porte fenêtre, un petit homme sort et regarde face à lui, avant de
dresser un bras tendu. On distingue le brassard de la croix gammée à son autre
bras.
Un autre homme, plus gros, apparaît
aussi en contre-jour et se tient en retrait tendant le bras lui aussi.
La conteuse :
Ils se nomment Adolf
Hitler et Hermann Göring. Leurs rangs de partisans grossissent jour après jour.
Ils persécutent un peuple qu’ils jugent responsable de tous leurs maux.
Sur le balcon, Hitler et Göring
repartent en coulisses en se félicitant mutuellement.
La conteuse :
Un autre homme, plus
discret, moins connu, va se dresser face à eux. Il n’est d’autre que le propre
frère d’Hermann.
Un homme que
l’Histoire a oublié jusqu’à son nom dans des tonnes de comptes-rendus et de
rapports.
Albert Göring arrive derrière le
panneau à jardin et voit la vieille femme frotter le sol.
Albert : (au soldat SS) Qu'est-ce qui se passe ?
Le SS :
Heil Hitler !
Albert : Heil mes fesses ! Je vous ai demandé
ce qui se passait !
Le SS :
Ordre du Führer, Herr Göring ! Cette femme juive doit récurer la rue !
Albert : Avec une simple brosse ? Vous
plaisantez ? Cette rue n'a pas besoin d'être nettoyée, elle est parfaitement
propre !
Le SS :
Non, elle a été salie par ces Juifs, elle doit être récurée ! Ordre du Führer !
Albert : (à la conteuse) Madame, relevez-vous.
La conteuse : Non... non... je vais nettoyer...
Albert : Ordonnez-lui d'arrêter !
Le SS :
Nein ! Elle arrêtera quand la rue sera propre !
Albert : (retroussant ces manches) Très
bien dans ce cas, je vais faire comme elle
!
Il
prend une brosse dans le seau et se met à frotter. La vieille femme est
effarée.
La conteuse : Qu'est-ce que vous faites ? Vous allez nous faire tuer...
Le SS :
(perdant de son assurance) Herr Göring! Vous ne pouvez pas....
Albert : Mais si je peux ! Et mon frère sera
ravi de savoir que je participe à l'effort collectif pour le nettoyage de cette
rue !
Le SS: Herr Göring! Arrêtez ! C'est dégradant !
Albert : Je m'arrêterais quand elle
s’arrêtera.
Le SS :
Mais....mais....
Albert : (frottant énergiquement) Il va
drôlement être propre ce trottoir... faudra penser à essuyer vos bottes.
Le SS :
Stop !... (À la vieille femme) Cessez de nettoyer ! Arrêtez
immédiatement !
Elle
s'arrête et attend sans un mot. L'officier regarde Albert Göring qui se relève
en s'essuyant les genoux, ne sachant pas quoi faire. Il finit par tourner les
talons et repartir à cour.
La conteuse : Herr Göring...qu'est-ce qui vous a pris de faire cela ?
Albert : C'est terminé. Vous pouvez rentrer
chez vous. Cet imbécile ne vous ennuiera
plus désormais.
La conteuse : Votre frère ne vous protégera pas éternellement...
Albert : (doucement) Rentrez chez vous, Madame. Les loups
seront bientôt de retour.
Il sort. La vielle femme se relève et
ramasse son seau et sa brosse.
La conteuse : Je tiens cette histoire de ma mère et de mon père. Il m’a
sauvé quand j’étais petite, il a en fait sauvé toute notre famille. Son
nom ? Albert Göring. Mais on l’appelait « le bon frère ».
Noir. Elle sort.
Acte 1 Scène 2
(Albert, l’officier américain, Oskar
Pilzer)
Lumière à jardin et à cour. Albert est
assis sur un des sièges à jardin et attend. Un officier américain arrive à cour
avec un dossier en main. Il s’arrête un instant lit quelque chose puis repart
jusqu’à Albert.
Celui-ci se lève dès qu’il est près de
lui.
L’officier américain : Restez assis, je vous prie.

Lumière
uniquement à jardin.
L’officier
américain : Mr
Göring, nous avons dû vérifier certains points de votre précédent
interrogatoire avant de pouvoir continuer.
Albert :
Je comprends.
L’officier
américain : Qu’elles
étaient exactement vos relations avec votre frère Hermann ?
Albert :
Mon frère…En tant que
personne privée ou en tant qu’homme d’État ?
L’officier
américain : Les deux.
Albert :
En tant que frère,
nous étions très proches. Il m’a toujours aidé. En tant que homme d’État, je
n’ai pas eu de relations avec lui.
L’officier
américain : Vraiment ?
Vous ne vous êtes jamais inscrit au Parti national socialiste ?
Albert :
Nein. A partir de
1923 j’ai été toujours un de ses plus farouches opposants et il était hors de
question que j’ai des relations avec lui ou ce salopard d’Hitler.
L’officier
américain : Vous
dites avoir été blessé deux fois lors de la première guerre, vous étiez dans
l’infanterie dans un régiment de communications.
Albert :
C’est cela même.
L’officier
américain : Qu’avez-vous
fait après ?
Albert :
J’ai repris mes
études à l’université technique de Munich. Puis, j’ai trouvé un emploi de
représentant chez Junkers, le fabricant d’avions. Dans l’unité des chaudières
et des refroidissements. En 1933, pour m’opposer au régime nazi, je demande et
j’obtiens la nationalité autrichienne.
L’officier
américain : Vous avez
changé d’emploi ensuite ?
Albert :
Oui en 1934. Je
fournissais du matériel à la Tobis
Sascha Film. J’ai rencontré son directeur Oskar Pilzer.
Lumière au centre sur le balcon. On
entend des bruits de la rue. Voitures qui passent, freins de camions, klaxons.
Un homme bien habillé apparaît avec un cigare. Il fait un signe de la main dans
leur direction.
Oskar
Pilzer : Herr
Göring ! Herr Goring ! (Albert
l’aperçoit) Venez ! Montez !
Albert
contourne le panneau à jardin et disparaît en coulisses. L’officier américain
gardera sa position, comme si de rien n’était, jusqu’à ce que la lumière
s’éteigne de son coté.
Albert
Göring arrive au balcon aux côtés de Pilzer.
Albert :
Mr Pilzer, merci pour votre invitation.
Oskar
Pilzer : C’est
naturel. Vous faites du très bon travail en nous fournissant votre matériel
pour la conservation des bobines. Un cigare ?
Albert :
Non merci.
Oskar
Pilzer : Un verre
alors ?
Albert :
Volontiers.
Il quitte le
balcon avant de revenir avec deux verres.
Oskar
Pilzer : Santé !
Albert :
Santé !
Ils boivent.
Oskar
Pilzer : Comment
trouvez-vous Vienne ?
Albert :
C’est une ville magnifique.
Oskar
Pilzer : Plus belle
que Berlin ?
Albert :
Plus respirable en tout cas.
Oskar
Pilzer : J’aimerais
vous faire une proposition. Accepteriez-vous de travailler pour la Tobis Sacha
Film ? Comme directeur technique.
Albert :
J’ai déjà un emploi.
Oskar
Pilzer : Je sais que
cela vous plaît de moins en moins.
Albert :
Vous seriez prêt à accorder votre confiance à un Göring ?
Oskar
Pilzer : Vous avez
demandé la nationalité autrichienne l’an dernier. J’en conclus que vous êtes
contre toute cette folie qui s’est emparée de l’Allemagne.
Albert :
Contre ? Je défie mon frère, Hitler et le Parti national socialisme…
Oskar
Pilzer : Vous n’avez
pas froid aux yeux et ça me plaît beaucoup chez vous. Alors ?
Accepteriez-vous ?
Albert :
Que devrais-je faire ?
Oskar
Pilzer : Rien
d’insurmontable au vu de vos compétences. Je vous épaulerais durant les
premières semaines. Et je sais que vous ne rechignez pas à travailler avec des
Juifs.
Albert :
Je sais que beaucoup ont dû fuir l’Allemagne parce qu’ils ne trouvaient
plus d’emploi.
Oskar
Pilzer : C’est vrai.
Et nous sommes beaucoup dans le milieu du cinématographe. Toute cette culture,
ça va vous changer. Je serais ravi de vous avoir dans nos rangs.
Noir sur le balcon. Lumière à jardin.
Albert revient s’asseoir face à l’officier américain. Celui-ci ne réagira que
lorsqu’Albert s’adressera à lui.
Albert :
J’ai évidemment accepté. J’ai passé quatre années fantastiques à côtoyer
des artistes, des producteurs et des réalisateurs. Puis en 1938, il y a eu
l’Anschluss.
L’officier
américain : L’annexion
de l’Autriche par l’Allemagne. Entre-temps votre frère est devenu l’un des
hommes les plus puissants, Hitler l’avait même désigné comme son successeur.
Vous étiez à son mariage ?
Albert :
Nein. Toute la famille y était sauf moi.
L’officier
américain : Nous
avons vérifié. Pas même présent sous un faux nom ?
Albert :
Nein ! Pourquoi aurais-je fait cela ? Je vous ai parlé d’Oskar
Pilzer. Je lui ai sans doute sauvé la vie. Je l’ai fait libérer le jour suivant
son arrestation.
L’officier
américain : Grâce à
votre frère ?
Albert :
Grâce à mon nom ! Malheureusement, il est mort un an après à Paris.
L’officier
américain : Oui. Bien
dommage, son témoignage aurait été bien utile. Et la liste que vous nous avez
fournie des gens que vous avez aidés est difficile à évaluer.
Albert :
Cessez donc ce jeu.
L’officier
américain : Quel
jeu ?
Albert :
Mon frère est ici même à Nuremberg. Cellule N° 5. C’est sur lui que vous
enquêtez à travers moi. Dites-moi ce que vous voulez savoir.
L’officier
américain le regarde un moment sans un mot puis ouvre son dossier à une page.
L’officier
américain : Fort
bien. 12 mars 1938, l’Allemagne annexe l’Autriche. Votre seconde femme est
morte quelques semaines auparavant. Le 27 mars, Hermann Göring arrive à Vienne.
Vous le recevez chez vous le soir même. Racontez-moi.